Un peu de bio
Je suis né à Aix-en-Provence, il y a quelque temps déjà. J’ai passé de bonnes années à enseigner comme instituteur dans le quartier Saint-Mauront à Marseille et puis comme prof de philo. En 1994, j’ai été conduit à émigrer à Poitiers où j’ai continué. Et je tiens à dire que j’ai pris mon pied, autant avec les primaires qu’avec les lycéens.
Au tournant du millénaire, j’ai fait une thèse sur l’esthétique de la photographie à l’Université Paris 8 sous la direction de François Soulages. Cela m’a conduit à écrire ou diriger quelques livres, donner quelques conférences et organiser des colloques. Par la suite, faute de poste en université autour de Poitiers, j’ai accepté la proposition qui m’était faite de travailler au Centre national de Documentation Pédagogique où j’ai joué le rôle d’éditeur pour les enseignants de philo et d’arts plastiques. J’ai aussi connu le parisianisme, l’hypocrisie, le mépris, la vanité, le mensonge et toutes sortes de joliesses dont je n’ai plus envie de parler.
Je suis maintenant retraité et j’écris des textes que je mets en ligne sur le site marctamisier.fr et je fais des photographies dont ce site martamisier.com tente de rendre compte.
Faire bonne impression
Mes photographies ne sont pas franchement adaptées aux écrans. Par contre, je prends beaucoup de plaisir à les voir avec les doigts et à les toucher avec les yeux. Il m’a d’ailleurs fallu pas mal de temps à obtenir un résultat qui me paraisse correct.
Tout cela pour dire que mes photographies sont destinées à être imprimées sur de beaux papiers et, après quelques essais, il a fallu trancher. Car oui, on ne se rend pas compte quand on débute, mais les papiers photographiques sont comme le renard du Petit Prince. Ils vous font les yeux soyeux et puis ils hurlent vos saturations, mordent vos ombres et grognent après les moindres détails importuns.
Je me suis finalement attaché à trois papiers Canson Infinity. Le premier est une merveille de pur coton (on l’appelle Rag, soit “chiffon” en français). Il va bien pour les tirages des livrets et aussi pour les grands formats. Cependant, pour ces derniers, je préfère celui qui porte un nom abominable : le Print Making Rag. Il est plus granuleux que le Rag, il est légèrement plus chaud et, surtout, il donne aux couleurs une profondeur impressionnante. C’est cette force des couleurs qui fait aussi que, pour les impressions A4 ou A5, je préfère le Platine Fibre Rag, une façon de baryté, mais à la surface très douce.
Après pas mal de brouillons, j’en suis venu à travailler à plusieurs types d’objets imprimés : des livrets (sur Rag) au format 11×15 cm, avec douze petites photographies ; des tirages au format 5×7 pouces sur papier Platine et des tirages sur papier A2, sur Platine ou Print Making Rag. J’aime bien aussi les projets qui donnent naissance à des leporellos, ces sortes de livres en accordéon qui permettent de tisser une succession entre les images.
Un peu de photosophie
Pour parler de mes images je vais expliquer deux propositions, deux hypothèses. La première dit : “la moindre réalité est plus fertile que la plus riche des imaginations” ; la seconde : “les photographies sont des fragments de mémoire”.
— Regardez un morceau d’espace, n’importe lequel. Vous savez immédiatement que vous auriez pu viser un peu à droite, un peu plus haut ou plus loin. Et aussi que vous pourriez vous approcher de tel morceau de morceau, et puis encore plus près ou, au contraire, vous reculer. Vous pourriez aussi changer d’angle, et avec 360°, vous avez l’embarras du choix, qui plus est, dans toutes sortes de directions. Si vous ajoutez que vous pouvez cligner des yeux, voir comme une mouche ou un aigle, revenir cette nuit ou sous la pluie, vous comprenez finalement que vous ne verrez jamais votre morceau d’espace en tant que tel, aussi petit soit-il. Sa réalité, en somme, est hallucinante. Elle nous échappe.
Mais, direz-vous, que voyons-nous alors ? Eh bien nous voyons nos préjugés, ces sortes de jugements qui font que l’on croit qu’une photographie d’une jolie femme est “la femme”, que celle d’un enfant en guenille c’est “la pauvreté” et qu’un “bâtiment” doit être un monument, sous peine de ne pas être vu, tout simplement. Ainsi, nous passons à côté des réalités et nous nous enfermons dans les certitudes de nos jugements. Nous ne voyons pas, nous pré-voyons. Ce n’est donc pas pour rien, si, finalement, les milliards photos que nous mettons sur Instagram et autres disques durs ne reprennent que quelques pauvres motifs : la jolie femme, l’enfant gai ou miséreux, les palais et les couchers de soleil, sans oublier les chats mignons. Et ce n’est pas en ajoutant des effets whaouh que notre imaginaire s’enrichira. Bien au contraire, ces effets auront pour effet de nous illusionner toujours davantage.
— Pourtant, l’appareil photographique enregistre la lumière et se fout a priori de nos préjugés. Pourquoi ne pas en profiter, dès lors, pour sortir prendre l’air un peu loin de nos certitudes et respirer un peu de réel ? Oh, il ne s’agit pas de dire que nos photographies seront réalistes. D’une part, en effet, il nous revient toutes sortes de réglages qui obéissent, que nous le voulions ou non, à nos pré-visions. Et d’autre part, il ne s’agit pas de se saisir de La Réalité, mais juste de se laisser dessaisir, grâce à elle, de nos propres préjugés. (ben oui, c’est de la philo !)
Voilà le deal : laisser fissurer notre égotisme spontané par ce que l’appareil est capable de voir et pas nous, ou, du moins, pas d’emblée, pas sans lui. Ce n’est pas facile et je n’y arrive pas toujours, bien sûr. En particulier, cette pratique implique que l’on ne sache jamais ce que sera notre photographie avant de l’avoir complètement développée. Peut-être qu’il n’y aura que du flou ou alors, au contraire, un objet trop convenu, trop joli comme on l’aime. Mais quel plaisir, quand on commence à voir apparaître un sens photographique, un truc qu’on avait senti au moment du déclencheur, une sensation qui est restée, depuis, dans notre mémoire numérique autant que corporelle ! Car, non, le photographe ne prend rien, il ne “shoote” pas. Au contraire, il est pris, dépris de lui-même par la rencontre de ce qu’il n’attendait pas et qui n’en est donc que plus précieux.
Voilà donc en quelques mots ce que vous verrez sur mes photographies : la mémoire de mes rencontres avec des fragments de réels.
J’ajouterais bien une remarque encore : ces photographies font sens ensemble (en fait, toutes les photographies font sens ensemble), elles font corpus pourrait-on dire. En isoler une n’a pas plus de sens que de citer un mot ou une lettre d’un poème. Mais cela nous mènerait trop loin pour aujourd’hui.
Merci pour votre attention
Marc TAMISIER